Ce travail est le fruit d’une rencontre avec un compagnon serrurier à l’occasion d’un stage au cours de mon année dans la Fondation de Coubertin. Ce stage, qui avait pour thème « la fabrication et la conception des limons caissonés », nous a amené à nous poser quelques questions dont le problème des développés de tôle sur les flasques supérieures et inférieures d’un limon.
Ce sujet m’a particulièrement intéressé, en effet, toutes les techniques que nous avons actuellement pour réaliser ces développés, à part pour l’escalier hélicoïdal, sont empiriques même si elles sont relativement fiables.
J’ai donc essayé de rechercher des techniques pour développer ce type de surface. L’application concrète de ma recherche se trouve dans mon travail de réception.
Je vais présenter dans la première partie les techniques utilisées pour obtenir les développés des flasques des limons et ensuite, en deuxième partie, la fabrication de mon travail de réception.
Avant d’étudier le développement, il faut d’abord déterminer le nombre de déformations différentes que l’on peut appliquer à la matière. On peut dire qu’il existe deux déformations :
– la traction, c’est l’action d’étirer, d’allonger.
– la compression, c’est l’action de refouler, de presser.
Toutes les autres déformations sont des combinaisons des deux précédentes. A partir de cette constatation nous allons pouvoir déterminer les déformations que nous pouvons appliquer à la matière et plus particulièrement aux surfaces. Une surface n’a pas d’épaisseur donc nous allons prendre pour référence les deux axes principaux XX’ et YY’ se situant dans le même plan que cette surface.
Les deux déformations que l’on peut appliquer à partir de ses axes sur cette tôle sont le pliage et la torsion.
Un pliage ou cintrage c’est la rotation de deux côtés opposés autour de l’axe parallèle à ces même côtés. Sur l’image suivante, la rotation a été effectuée autour de l’axe X’X.
Si on considère que la surface n’a pas d’épaisseur, on peut dire qu’elle n’a subit aucune contrainte, ni d’allongement ni de compression. On a simplement créé deux plans à partir d’un seul. Le développé ne pose pas de problème, on effectue l’action inverse à celle que nous avons utilisée pour le formage, nous retrouvons donc la surface initiale.
Une torsion est le résultat de la rotation de deux côtés opposés autour de l’axe perpendiculaire à ces mêmes côtés. Dans l’exemple suivant, les côtés ont effectué une rotation autour de l’axe Y’Y.
Dans le cas d’une torsion, on crée un allongement des côtés parallèles à l’axe de rotation ici Y’Y. Le développement est aussi simple que dans le cas précédent. Après avoir effectué la rotation inverse pour ramener les deux cotés dans le même plan, on retrouve également notre surface initiale.
Nous avons maintenant déterminé deux déformations possibles sur une surface et également leurs développés. A partir, de ces hypothèses, les surfaces plus complexes seront divisées en éléments plus simples tel que des quadrilatères ou des triangles.
Nous allons prendre pour exemple une surface gauche relativement simple réalisable à l’atelier.
Le but de l’opération sera de diviser cette surface en éléments les plus petits possibles. Chaque élément sera alors développé individuellement puis ré-assemblé pour former la surface développée.
Le compromis se trouve entre le nombre d’éléments et la précision que l’on veut obtenir. Plus la surface sera divisée en éléments plus petits, plus la précision sera importante. Mais plus le nombre d’élément est important, plus le temps de développement est important.
On peut tout de même remarquer la répétitivité de la tâche. On peut donc admettre qu’un ordinateur pourrait réaliser ses calculs plus rapidement et plus précisément qu’un homme.
Sur cet exemple la taille de l’élément est encore trop importante. Si la dimension de l’élément devient assez petite, on peut considérer que les cotés intérieur et extérieur deviennent pratiquement droit. Comme les cotés peuvent se confondre avec une droite, on va simplifier la forme de chaque élément en remplaçant les cotés courbes par des segments.
Une fois simplifiée la surface sera développée en effectuant une rotation autour de l’axe Y’Y des cotés perpendiculaires à ce même axe pour les amener dans le même plan.
Après avoir effectué cette opération sur chaque élément, il faut les assembler suivant l’ordre dans lequel ils ont été découpés.
Pour conclure, cette technique ne peut être utilisée que dans certaines conditions. En effet, on tient compte d’un allongement des bords de la surface au cours de la torsade.
Cet allongement n’est possible que si le rapport entre l’épaisseur de la tôle et la largeur sur laquelle on effectue cette torsade se rapproche de 1, une largeur est aussi importante que l’épaisseur.
On peut remarquer qu’il est pratiquement impossible de torsader une tôle d’un mètre de large ayant une épaisseur de quatre ou cinq millimètres (rapport de 200 environ entre l’épaisseur et la largeur), mais au contraire un carré (rapport de 1 entre les cotés) ayant la même surface de section sera très simple à former.
Le développé de ses surfaces larges et peu épaisses ne prendra donc pas en compte de déformation sur la largeur de la bande tel l’allongement. On pourra utiliser la division en éléments triangulaires ou essayer de trouver une division de la surface par des plans n’étant pas gauche
Pour les développés de mon escalier, les largeurs étant relativement faibles, au maximum 300 mm pour une épaisseur de 4 mm, je n’ai utilisé que la première méthode.
Pour commencer, j’ai recherché un ouvrage pouvant servir à l’application de la technique précédemment décrite. Je pense que l’escalier s’est bien prêté à l’exercice de part la liberté que l’on peut avoir dans la définition de sa forme et de sa conception. La recherche des formes s’est faite sur papier puis par ordinateur. Les sections ont été définies d’un seul point de vue esthétique, la difficulté n’a été déterminée que dans un second temps.
Tout l’intérêt de cette forme est dans l’illusion de torsade qu’elle engendre quand elle a la forme d’une spire. La forme générale des limons est difficile à lire tant que les sections ne sont pas clairement dessinées, cela induit l’œil en erreur sur le nombre de faces et donc de sa forme.
Je suis donc parti dans le but de fabriquer un seul limon d’escalier. Après quelques réunions il a été décidé de fabriquer un escalier balancé à limon double. La forme générale du limon fut unanimement acceptée.
La spécificité de cet escalier tient dans sa forme générale, il ne contient aucune courbe rayonnante. C’est-à-dire que toutes les courbes que j’ai dessinées par ordinateur ne peuvent pas être tracées avec les outils traditionnels tel le compas et la règle. Ce type de courbe peut être comparé à la forme que l’on obtient en cintrant une fine lame rigide de métal, elle prend une courbe harmonieuse sans toutefois avoir de forme géométrique bien défini. On les appelle les courbes NURBS, Non-Uniform-Rational-Bézier-Spline du nom de l’ingénieur Renault français M. Bézier qui les utilisa pour la première fois. Le travail de ses courbes n’est possible que par ordinateur.
Le limon extérieur sera ajouré et peint anti-rouille pour présenter la conception. L’assemblage des flasques sur les goussets se fera par vis pour éviter les déformations que la soudure engendrerait. Le limon intérieur sera entièrement soudé puis laqué.
Les marches seront réalisées en plat simplement pour les symboliser, le but étant de garder un ouvrage d’apparence légère. Un socle est réalisé pour la présentation de la maquette. Un large plat périphérique permet d’arrêter le remplissage en panneau de particule bois. Des pieds réglables permettront de stabiliser l’escalier correctement.
Les deux limons seront reliés en partie haute par un UPN pour symboliser le palier et ainsi permettre de ne pas utiliser de jambe de force pour retenir le limon extérieur. Tout le poids sera reporté sur le limon intérieur.
Les dimensions de la maquette sont de 2500x1500mm pour une hauteur de 1800mm, c’est un escalier à l’échelle 1/2.
A partir du moment où le travail a été clairement défini, il m’a fallu environ un mois pour réaliser l’étude et le dessin, 140 heures devant un écran d’ordinateur.
J’ai pu réaliser l’étude sur un logiciel de dessins 3D surfacique, Rhino 3D. Ce logiciel est spécialisé dans le traçage de courbes et surfaces NURBS. Les courbes NURBS sont réalisées à partir d’équations assez simples dont les déformations sont proches des courbes organiques. Elles peuvent également servir à modéliser assez fidèlement les déformations du métal. Chaque pièce a été dessinée en volume. A partir de la modélisation, j’ai pu présenter des images de synthèse pour imaginer l’allure de l’ouvrage fini.
La modélisation volumique permet de présenter la vue d’un ouvrage fini avec les avantages et les inconvénients que cela apporte. La présentation d’une telle image impose une réalisation de même qualité que celle-ci, ce qui devient parfois compliqué car l’ordinateur permet de tout concevoir, même ce qui est irréalisable. Les connaissances techniques sont donc indispensables pour la maîtrise complète de la modélisation volumique.
Pour exemple, cette modélisation comportait des marches en verre et des limons en acier inoxydable. Pour une question de budget tout a été remplacé par de l’acier, beaucoup moins onéreux.
L’utilisation de ce logiciel est relativement simple puisqu’il est basé sur le même concept d’un logiciel bien connu du bâtiment AUTO CAD. L’apprentissage des nouveaux outils de dessin présents dans ce logiciel se fit pendant les premiers mois de mon année passée à Muizon. Je pus ainsi présenter une image assez proche de la maquette que je voulais réaliser.
La conception est assez simple, les flasques des limons seront réalisés en tôle d’acier doux d’épaisseur 4mm, les goussets en épaisseur 6 mm et les renforts de marche du limon intérieur en tôle d’épaisseur 2 mm. Le dessin par ordinateur m’a permis d’imprimer et de coller le débit entier sur les tôles que j’avais à découper à la scie à ruban.
J’ai commencé le débit dans l’atelier du Compagnon Prieur la semaine du week-end de Pâques au mois d’avril 2004. Il m’a fallu trois jours complets pour débiter à la scie à ruban 18 flasques en tôle de 4 mm, 44 goussets en tôle de 6 mm, autant de support de limon en tôle de 2 mm pour les gabarits de montage et 72 renforts de marche en tôle de 2 mm.
Le week-end de Pâques, j’ai pu commencer le montage du gabarit pour le limon intérieur.
J’ai chevillé trois tôles de 4 mm au sol, elles me serviront d’épure. J’ai ensuite collé sur ses tôles la vue en plan avec la position des montants de la cage qui me servira à débillarder les flasques des limons. Après avoir débité, tracé et repéré chaque montant je les ai pointés verticalement sur la tôle d’épure pour y fixer les supports de flasque qui me serviront à débillarder les flans du limon.
J’ai rigidifié la cage avec des diagonales et j’ai pu commencer à débillarder les tôles du limon intérieur.
La bande de tôle horizontale à la base de la cage sert de référence de hauteur
Pour débillarder des tôles il m’a fallu inventer un outil me permettant d’appliquer une force égale sur les deux côtés de la flasque pour obtenir une torsade régulière. J’ai donc réalisé une griffe à partir de deux cornières. Elles sont reliées entre elles par un axe libre permettant de passer la flasque entre les deux. Une pince étaux permet de fixer la griffe sur la flasque. Cela me permet également de répartir la force sur toute la largeur de la tôle.
L’intégration de ses renforts dans le limon fut un réel problème. Les entailles des marches dans le limon ont été réalisées après la soudure complète du limon. Les renforts n’étaient donc plus visibles mais ils avaient été repérés au préalable sur les flasques. Les entailles au disque à tronçonné mon prit beaucoup plus de temps que je ne l’avais prévu. Environ 35 heures pour 8 heures estimées.
Le positionnement des goussets fut aisé puisqu’ils s’alignent avec les supports de flasque. J’ai fait un petit montage pour les souder verticalement puis j’ai encastré les renforts de marche dans les entailles prévues à cet effet dans les goussets. Après soudure, j’ai put reprendre le débillardage des deux autres flasques supérieurs. Je les aie ensuite montées sur les goussets pour fermer complètement le limon.
La finition du limon fut assez longue, environ 60 heures de ponçage au disque fibre. J’ai repris les arêtes à la lime fraise pour obtenir une meilleure finition.
Pour réaliser les entailles des marches, j’ai commencé par découper la tôle au disque à tronçonner, mais la forme du limon ne m’a pas permis d’utiliser les outils électriques pour la finition. J’ai donc ajusté les bords des flasques sur les renforts des marches à la lime et au bédane pour les endroits inaccessibles. La finition fut très satisfaisante mais le temps passé fut également très long, il m’a fallu environ 35 heures pour ajuster toutes les entailles.
Toute la particularité du limon extérieur tient dans son esthétique. Les parties ajourées permettent de voir l’intérieur du limon et donc sa conception. On peut également voir, en suivant la forme des goussets, la progression de la section du limon. La fabrication diffère également par son mode d’assemblage. En effet, pour pouvoir peindre l’intérieur du limon il me fallait la possibilité de démonter au minimum deux flasques. J’ai donc décidé d’assembler les deux flasques supérieurs par des vis sur les goussets.
Le montage de la cage du limon extérieur fut similaire à celui du limon intérieur. Après avoir débillardé les flasques inférieurs, je les ai fixées sur la cage avec des points de soudure. J’ai assemblé les goussets sur les deux flasques par de petits cordons de soudure réalisée à l’électrode enrobée. J’ai pu ensuite terminer le débillardage des deux flasques supérieurs.
La fixation par vis fut plus rapide que je ne l’espérais. Les goussets ayants une épaisseur de 6mm, j’ai dû employer des vis TFHC M4. J’ai percé les trous à la perceuse portative puis je les ai taraudés. Les vis apportent un aspect mécanique très intéressant à l’ouvrage.
Après avoir terminé le limon extérieur, j’ai pu commencer à fabriquer le socle.
Le socle se compose d’une structure assez simple en tube construction 40x40mm. Une ceinture en plat de 60x10mm sert à arrêter le panneau de particule bois utilisé comme remplissage.
Une fois le débit des tubes réalisé, j’ai formé la ceinture en plat de 60x10 au marteau. Comme pour l’épure de l’escalier, j’ai imprimé le plan du socle à l’échelle 1.
La structure mécano-soudé a été réalisée directement sur le plan à l’échelle 1. J’ai pu souder à l’électrode enrobée pour minimiser les déformations. L’assemblage de la ceinture a permis de rigidifier le tout. J’ai ensuite soudé les platines de support des limons par rapport au plan. Pour la découpe du panneau de particule bois, j’ai fait appel à un menuisier qui m’a conseillé quant à la marche à suivre pour le réaliser correctement. Les deux entailles dans le panneau permettent de cacher la platine de fixation des limons.
Les marches sont réalisées en plat de 20x10mm, elles n’ont qu’une fonction esthétique mais apportent un peu de rigidité dans l’ouvrage.
La partie intérieure de la marche est encastrée dans le limon. La liaison entre la marche et le limon extérieur se fait par un rond de diamètre 10 soudé sur la marche et vissé sur le limon
Le perçage des flasques extérieurs pour accueillir les marches à été réalisé après le montage complet de l’ensemble. Les marches ont été placées à la bonne hauteur puis contre percé.
Les limons sont fixés sur le socle par 6 vis M16. Un système de réglage permet d’ajuster la verticalité des limons en modifiant la position des vis.
La barre de renfort au niveau du palier permet de soutenir le limon extérieur, elle est également vissée pour pouvoir avoir un réglage sur l’arrivée de palier du limon extérieur.
La réalisation de la pièce a durée 750 heures étude comprise pour un budget total de 500 euros.
Nous étions quatre postulants dans l’atelier du siège de Muizon. La correction s’est passée le jeudi 19 août 2004. La bonne entente entre nous à permis à chacun de finir sa pièce dans les temps et correctement avec le plaisir d’avoir passé un bon moment ensemble.
C’est un moment important ou l’on peut apprécier la fraternité chez les compagnons. C’est une expérience à vivre pleinement. Elle amène à l’humilité devant l’ouvrage et prend tout son sens dans l’entraide entre les hommes face à la difficulté.
De l’étude et jusqu’à la fabrication, il y a toujours eu un compagnon, un aspirant, sédentaire ou itinérant pour nous soutenir moralement et techniquement dans notre travail.
Tout au long du travail, les compagnons nous aidé à réfléchir sur notre engagement et sur le but de la réception pour mieux vivre le travail de réception.
Je remercie les compagnons Prieur et Dolori pour m’avoir soutenu dans mon travail de réception et dans l’entreprise.
Je remercie également tous les compagnons présents à la correction des travaux de réception pour avoir pris du temps pendant leurs vacances.
Je remercie le compagnon Gerling, mon parrain de réception pour le soutient moral qu’il m’a apporté mêmes s’il était un peu loin.
Et je remercie le compagnon maître du stage forge pour avoir été présent à l’atelier tout au long du travail de réception.